Jeudi 11 octobre – 15h20.
Aéroport de Tontouta. En sortant des services zoo-phytosanitaires* j'avise de loin un taxi en attente, seul être vivant dans l'immense bâtiment vide, silencieux et moche...
- Bonjour, pour demain je voudrais prendre un...
- On ne s'appuie pas sur la portière !
- ! ! ! ... (de stupéfaction)
"On" ? Il vient de faire 200m en boitant à travers les halls déserts en suant d'une douleur à la hanche, et, sans faire gaffe, j'avais posé ma main près d'un coude à la portière... Pendant un instant, j'ai pensé que nous nous connaissions peut-être et que le gars plaisantait ! Alors quoi, une grosse blague lourdingue ? Moi qui pensais benoitement faire bosser un pro désœuvré...
Mais j'insiste :
- Excusez-moi... Euh, voilà : Demain je dois mettre ma voiture au garage chez Mobil, et je voudrais prévoir un RDV pour me ramener chez moi au Mont Mù...
- Demain, je n'travaille pas !
Quand on côtoie des animaux, le contact se situe dans les questions posées, l'interprétation des réponses et tout est affaire de signification de l'un à l'autre.** Au ton et à son attitude, ce type ne plaisante pas, il n'a même pas levé le nez dans son journal. Moi "je n'réponds pas aux cons, pass'que ça les instruit" (M. Audiard).
Plus de doute, je suis encore tombé sur un "taxi à cerveau cubique" (Taxis caledoniense elegans) un phénomène dont j'avais entendu parler sans trop y croire, un spécimen endémique comme le cagou (Rhinochetus jubatus) Ou une espèce protégée comme Pachyplectron caledonica !...
L'ahurissement passé, je recule de 3 pas, un papier-crayon en main: Franck 850-964 et décide de partager ma découverte avec l'Office du tourisme Je sais déjà que le biotope de cette affabilité diesel se situe à l'arrivée de notre aéroport international. Les touristes ne peuvent pas le rater; y'a qu'à demander le service des brouettes....
Mais je n'ai pu faire part de mon enthousiasme à aucun spécialiste de l'hospitalité locale : l'Office du tourisme (25 81 22) est sur un répondeur depuis 2 jours...
La corporation des chauffeurs de taxis est respectable. J'y connais quelques individus normaux. Mais il y a aussi des têtes de cons... comme dans n'importe quel troupeau de vaches !
*Toute l'année, des gens du service phyto de la douane me contactent pour récupérer les oiseaux perdus, blessés ou paumés dans l'aéroport. Très souvent ce sont des oiseaux de mer égarés par les lumières qu'il suffit de gaver de poisson, de réhydrater à l'eau de mer et de relâcher le soir. D'autres fois, c'est réparer ou "endormir" des oiseaux heurtés par les voitures de service en urgence – comme toutes les semaines, chaque fois qu'un avion s'écrase sur la piste...
En association –tacite- avec le service ornithologique du pays...
**J'ai de nombreuses observations à ce sujet...
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... je l'engage dans l'eau jusqu'au poitrail et tourne le bout sur le pommeau de la selle. En route ! Pour un cheval, tirer n'est pas porter = un apprentissage de plus. Après un moment d'hésitation, Mutin s'arqueboute et le convoi s'ébranle : 3 canots amarrés en file et leurs occupants auxquels j'avais proposé de remonter la Dumbéa le plus loin possible. On avançait prudemment, entre les bancs de caillasses et les hauts fonds. Mon cheval adore l'eau claire (mais pas la boue) Il s'est vite pris au jeu et je le laissais trouver lui-même l'itinéraire à profondeur constante en évitant les troncs immergés. Je surveillais d'éventuels barbelés... Soudain, il s'est arrêté net. Que se passe-t-il ? Dans l'eau limpide, le lit de galets multicolores sans rien de particulier. Je claque de la langue puis donne des jambes et on repart... pas loin. Soudain le fond de l'eau se dérobe et le cheval se met à nager puissamment. (Un cheval nage beaucoup mieux qu'une vache, mais pas avec 100kg sur le dos et en tirant 400 autres...) Vite, je largue le bout, m'évacue de la selle et reste à l'horizontal cramponné à la crinière. On reprend pied un peu plus loin. Derrière nous, les canots libérés s'apprêtent à redescendre la rivière :
- Salut et merci beaucoup, crie une voix.
- Y'a pas de qu...
Si, y'a de quoi : Dans mes fontes de selle pleines d'eau, mes papiers, mon paquetage, un petit appareil photo et le piquenique de ce midi...
(Note Février 1994)
Evidemment, ce bain impromptu était de ma faute : Qui, du cheval ou moi, avait tant insisté pour avancer ?... Moi, la tête pensante ! Et l'animal a eu le tort de me faire confiance...
Quand il était plus jeune, Mutin m'a quelquefois foutu par terre – Trop violent, inéducable, selon son vendeur qui le destinait à l'abattoir ! J'ai cru ne jamais parvenir à le civiliser. Mais peu à peu, en réflexion et en douceur, on a fini par définitivement se trouver. Depuis, on a fait pas mal de route en extérieur et il nous a fallu surmonter d'innombrables situations bizarres dans lesquelles se sont créé une confiance et de "loyauté" mutuelle. D'où plusieurs principes comportementaux (et personnels) reproductibles...
(A suivre)