Ca s'est passé... tiens, pas plus tard que mercredi dernier :
Comme depuis toujours, j'avais préparé un carton de livres destinés à la bibliothèque municipale. Je ne trie que des livres lisibles et de bonne tenue. Parfois quasi neufs. Pas de
ces E-livres virtuels en Carte Bleue, que du vrai papier. Des livres qu'on peut ranger. Ou des nomades à emporter en salle d'attente, à la Poste, sous la tente à la
frontale... Des livres qu'on exhibe en transit, comme acte de résistance à l'I-phone ou au portable. Qu'on peut prêter et ne plus jamais revoir sans rancune. Des
livres qu'on peut abandonner dans un bus, à l'hôtel ou dans un refuge... et qui feront le bonheur d'un(e) autre...
" Quand on était passé sur ce pont à l'aller, Prakash nous avait prévenu : "Si il pleut, vous ne repasserez pas en sens inverse". Effectivement. Depuis mardi, nous voilà coincés au retour.
Au 3e jour, j'ai visité tous les petits métiers des
environs : le dinandier, le meunier, le forgeron de lames de couteaux, le tailleur de pierres, les tisseuses... [...] Dans un coin du gîte, Laree a trouvé un livre
de poche, écorné, sans couverture, ni titre.
- C'est du français, ça ? m'interroge-t-elle* ?
Comment ce bouquin est-il parvenu ici, paumé en Himalaya à 4600 m ? Quel oubli ou quel abandon d'un voyageur précédent ? Le bouquin relatait les fulgurances asiatiques
(et amoureuses) d'une jeune européenne embarquée dans une sorte de road-movie comme celui que nous étions en train de vivre avec Laree. Ecriture libertaire, ambiance
soixante-huitarde... Quand on a repris la piste, j'ai rangé ce livre dans une poche latérale du sac..." - Jomoson-Nepal (1995)
Deux ou trois ans plus tard, j'empruntais "L'Antivoyage" à la petite bibliothèque de Païta. En le parcourant, je me suis souvenu du bouquin sans titre, ni auteur. Quelques clics plus tard, je racontais à Muriel Cerf, les conditions et le lieu où j'avais lu Le Diable vert. Ed. 1975. son livre-récit d'une jeunesse passionnée :
- ... bouleversée par votre message... Je suis très émue que vous ayez retrouvé mon "Diable vert"dans la région même où il fut conçu me répondit-elle, [...] Avez-vous perçu la beauté qui m'a tant inspiré il y a près de 20 ans !
Plus tard, elle m'a raconté son devenir depuis l'Asie. Malraux lui écrivait : "Vous possédez un don des dieux : le talent narratif..."
* D'origine Tamang, Laree parlait 6 langues locales plus l'anglais et le hindi...
... Et donc j'arrive naïvement au Dock Culturel de Païta. Avec un carton de 15 livres divers et de bonne qualité. Fin content !
Alors une hôtesse m'interpelle :
- Nous n'acceptons plus les dons de livres. Nous ne pouvons enregistrer et prêter que les livres achetés par la commune... et bla bla !
- Et bîn... Faites-moi donc un chèque...
Sagamore, que j'me dis, dorénavant le don bénévole de livres est interdit ! La gratuité n'est plus à la mode. Certes, le Culturel du Sud est en
faillite (selon Frogier) Mais tes livres et toi ne font pas partie de la carambouille entre Hachette-Import et les riches communes du pays...
Alors je suis ressorti.
Avec mes chouettes bouquins dont personne ne voulait !
J'en ai laissé deux ou trois, à l'abri sous un banc.
En attendant quelqu'un qui en voudra,
quelqu'un qui veuille encore résister
à la Culture industrielle et pré-digérée de l'écran.
Peut-être...
.